Entretien avec Xavier Quérat-Hément : « Déployer une culture de service »

Parce qu’elle sont confrontées à des mutations majeures liées à l’évolution des usages de leurs clients, un grand nombre d’entreprises engagent des programmes de transformation visant à orienter toute l’entreprise vers le service. C’est le cas du Groupe La Poste qui a lancé depuis 2008 ce type de programme stratégique.

Entretien avec Xavier Quérat-Hément, un patron engagé dans l’amélioration de l’expérience client de son entreprise mais aussi de celles qu’il réunit avec Raphaël Colas (Responsable du pôle satisfaction clients & Projets Relation Client à la Direction de la Qualité du Groupe La Poste) au sein d’ Esprit de Service France, un « do thank » engagé sur la culture service et l’expérience client et collaborateur.

 

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Xavier Quérat-Hément vient d’être nommé Directeur de la Relation Client au sein de La Mutuelle Générale. 

Il est Co Président de France QualitéPrésident du Comité Management et Services de l’AFNOR et Président d’Esprit de Service France.

Il est également vice-président de l’Association Française de la Relation Client et membre du conseil d’administration de l’Association pour le Management de la Réclamation Client.

En tant que Directeur Qualité du Groupe La Poste, son précédent poste, il s’est particulièrement investi sur la transformation des services financiers de La Poste en Banque Postale, la réinvention de la relation de service dans les bureaux de poste, la mise en place du service consommateur multicanal du Groupe et la motivation, l’engagement et le sens du service des postiers.

Il est par ailleurs membre de la Commission Nationale des Services et du Groupement des Professions de Services (MEDEF) et l’auteur de Esprit de Service, réussir la transformation par le service (Lexitis, 2014).

Agnès Duroni – Le Groupe La Poste a entrepris un profond et ambitieux programme de transformation. A qui s’adresse-t-il ? Quels ont été les grandes étapes et les principaux axes de travail ?

 Xavier Quérat-Hément – Un travail en profondeur a en effet été réalisé dans les bureaux de poste et c’est ce qui a permis de formaliser toute la démarche qui est aujourd’hui le socle d’Esprit de Service. Nous avions mis en œuvre ce projet car nous sommes dans une économie de services et que la différenciation se fait par la qualité de la relation client en face à face ou à distance.

Le point de départ a été un constat d’un certain nombre de dysfonctionnements (file d’attente, difficulté d’accessibilité, image dégradée de La Poste, enquête client montrant un manque de confiance, etc.). Nous avions donc décidé de lancer ce projet avec un premier pilote constitué de 40 bureaux de poste.

La première étape a été d’écouter les équipes de terrain, les patrons de bureaux de poste et les clients pour comprendre et proposer des évolutions du schéma d’organisation en particulier des rôles de chacun.

L’objectif était de mieux accueillir nos clients, amener de la personnalisation dans le système, éclater la file d’attente et donc revoir le parcours client pour réussir les moments de vérité. Nous avons ainsi défini l’attendu des clients et les nouveaux standards de services avec les postiers. Nous souhaitions que chaque guichetier dans l’ensemble des 2000 bureaux les connaissent et les appliquent de la même façon afin d’améliorer la relation client. Nous avons voulu passer d’une logique « je suis un usager dans une file d’attente » à « je suis bien accueilli et orienté vers le bon service ou la bonne machine».

Nous voulions démontrer que les postiers seraient gagnants et que leur rôle serait valorisé. Nous avons mis en place dès le début des mécanismes pour mettre les équipes en situation de réussite, pour encourager les initiatives, aller vers, avec le sourire.

Ce projet suscite beaucoup de questions : comment convaincre les guichetiers de changer de posture dans un moment ou l’entreprise traverse des difficultés économiques ? Qui a participé à ce projet ? Comment vous y êtes vous pris ?

Il y a eu un pilote au départ sur 40 bureaux de poste et ensuite un déploiement sur 1000 bureaux puis 2000. Avec un enjeu de communication interne fort car le projet a duré 4 ans.

Nous nous sommes appuyés sur les patrons de bureaux de poste que nous avons accompagnés en leur proposant des dispositifs et des outils. Nous avons mis en place une équipe projet dédiée de 80 personnes sur l’ensemble du territoire que nous réunissions régulièrement pour partager les besoins et les difficultés rencontrées.

C’est un projet destiné à accompagner le développement du Groupe La Poste et ainsi gagner de nouveaux clients. Cette démarche doit permettre d’attirer des clients vers les nouveaux produits de la Banque Postale. Cette démarche a débuté avec les bureaux de poste mais a été déployé dans les autres métiers : Courrier, Centres Financiers, Banque Postale, etc.

Nous ne sommes qu’au début du chemin car dans de grandes entreprises comme la nôtre, il faut que chacun soit convaincu de la force de transformation de l’esprit de service en ayant les moyens nécessaires (l’engagement du COMEX, un bon manager en soutien, les bons outils, etc). C’est pour cela que je l’appelle la démarche de transformation. Cela est forcément long.

Qu’est-ce qui a changé ? Quels sont les résultats ? 

Le temps d’attente a beaucoup baissé, l’envie du sens de service a souvent augmenté. Les bureaux ne ferment plus à 18H mais 20h dans la semaine et le samedi à 17h au lieu de 12H. Cela s’est globalement bien passé avec de grands changements d’esprits : les collaborateurs se sont appropriés les lieux, c’est devenu leur endroit.

Ils sont fiers d’appartenir à cette organisation et ont eu à cœur de rendre leurs espaces plus accueillants. Cet espace n’était plus « la salle du public » mais « l’espace service » à partager avec les clients. C’était profondément nouveau.

L’enjeu était de réussir l’approche multi canal du client. Ce qui était un vrai changement pour les équipes. Maintenant, si vous le souhaitez, vous pouvez aller chercher votre colis à la gare, dans une consigne, etc. Mais il faut arriver à gérer cela. Et il faut trouver d’autres raisons de faire venir un client dans un bureau de poste, en particulier pour obtenir des conseils. C’est une matière vivante qui n’est jamais terminée !

Pour garder la flamme et la motivation, les canaux progressent en parallèle en esprit de service. C’est l’expérience du client qui compte à chacune de ses interactions avec La Poste.

Vous définissez « l’esprit de service » comme «un ensemble de valeurs, de comportements clés et de compétences qui permettent de développer, dans la durée l’excellence de la relation avec le client, entre managers et collaborateurs et entre métiers et services de l’entreprise. » Quelles sont les valeurs du Groupe La Poste ?

Le marqueur c’est la confiance, c’est être un acteur de confiance dans la société. C’est le facteur à qui on ouvre la porte, le guichetier avec qui on a un dialogue, le conseiller bancaire,…Il y a cette idée du service public qui a structuré l’histoire. C’est quelque chose de très important et le projet s’est attaché à montrer au départ ce qui pouvait détruire cette confiance.

L’égalité a été longtemps vécu comme le même service pour tous, illustré dans les bureaux de poste par « chacun son tour » donc la file d’attente. Nous ne délaissons pas ce territoire de valeurs. Mais nous avons considéré que chacun venait pour des raisons différentes et que l’accueil de tous est au cœur de notre mission, de nos valeurs . Nous devions donc nous organiser différemment.

Ensuite, je parlerai de la proximité avec 17 000 points de contacts dont 10 000 bureaux de poste. Le projet a concerné 2000 bureaux de poste. 1 400 bureaux de postes ont été certifiés.

Rester proche dans ce monde qui se dématérialise est une priorité. Le Groupe La Poste reste un acteur du lien physique et de la cohésion sociale, présent dans les campagnes, dans les banlieues. Les facteurs jouent un rôle différent dans la nouvelle économie et de nouveaux métiers apparaissent (apporter des plateaux repas, accompagner les séniors, faire les courses, apporter les médicaments, etc).

Et enfin l’engagement des salariés en lien avec ce qui est le plus important pour nos clients. Par exemple, la rapidité de service dans les bureaux de poste, c’est un acte fort et cela ne fonctionne que si les postiers sont engagés.

Dans une logique de confiance et d’engagement, cela ne fonctionnera pas si les postiers n’ont pas confiance en la Poste. Nous avons travaillé l’employabilité et le modèle social : personne n’est « mis à la porte », tout le monde peut évoluer. Par exemple, les collaborateurs qui travaillaient la nuit dans les centres de tris ont eu la possibilité d’être formé sur d’autres métiers, notamment la relation téléphonique.

Dans les destructeurs de confiance, nous avons travaillé sur les irritants internes. « Vous êtes aussi important que les clients ». « C’est par la qualité de votre travail que la relation avec le client sera réussie ». C’est la pyramide inversée par la preuve !

En parallèle de vos activités, vous êtes président de l’association Esprit de Service France qui a lancé en avril 2016, le Modèle Esprit de Service pour accompagner la transformation et le développement des entreprises par l’excellence de service. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Fondé sur les principes de co-construction, d’écoute, de confiance, d’engagement et d’équilibre des attentions à l’égard des clients et des collaborateurs, le modèle Esprit de Service met en exergue – ­au delà du service lui-même – l’enjeu déterminant de la Relation.

Le modèle porte 3 notions centrales qui sont la transformation par le service (culture de service pour les collaborateurs et les clients) la transformation par l’expérience (l’humain est essentiel) et la transformation par la coopération (clients et collaborateurs sont engagés dans la co-création).

L’association propose un modèle pour s’engager dans une démarche d’excellence. La satisfaction client ne suffit plus. Il est nécessaire de viser « l’enchantement ». Le Modèle Esprit de Service s’appuie sur :

  • l’alignement stratégique avec la cohérence d’une vision service déclinée à tous les niveaux de l’organisation,
  • le déploiement d’une culture de service (servant leadership, empathie, écoute)
  • l’engagement du collaborateur,
  • la voix du client au quotidien et partout (nous sommes tous des clients !)
  • la création de valeur (innovation de service, maîtrise de la valeur perçue, partenariats et relations collaboratives)

Pour améliorer la relation entre les équipes, l’entreprise doit offrir plus d’autonomie à chacun, à encourager (test and learn), avoir moins de lignes hiérarchiques, être plus agile, être transparent, exemplaire et former les managers à la proximité et au développement de ses collaborateurs.

Et pour réussir la relation de service avec le client, Il faut une organisation, des outils et un état d’esprit où chacun dans l’entreprise est au service de celui qui sert le client.

Vous allez dans quelques jours vous lancer dans un nouveau challenge puisque vous prenez la responsabilité de la relation client de la Mutuelle Générale…

Oui, dans un univers qui est en mutation rapide, je suis très fier d’avoir l’opportunité de co créer avec les équipes les conditions d’un déploiement réussi du modèle Esprit de Service. Ce sera bien sur au service des clients et de tous les collaborateurs de la Mutuelle.

Découvrir également ici Le portrait chinois de Xavier Quérat-Hément

 

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