Entretien avec Bruno Mettling – DGA du groupe Orange, en charge des ressources humaines

logo orange

Fort de plus de 160 000 collaborateurs dans le monde, le Groupe Orange a connu ces dernières années une profonde transformation. Bruno Mettling nous parle ici des fondements de la reconquête mais aussi des enjeux de digitalisation du Groupe. De la refonte du statut social des caisses d’épargne au début des années 2000 à l’apaisement d’Orange, cela fait maintenant une quinzaine d’années qu’il est confronté en tant que dirigeant à la gestion de crise ou à la conduite de transformation.

Entretien captivant avec un DRH passionné et convaincu qu’il faut cesser d’opposer valeurs éthiques et valeurs économiques, équité et performance, bienveillance et exigence.

B Mettling

 

Bruno Mettling est Directeur Général Adjoint du Groupe Orange en charge des ressources humaines et de la communication interne. Il assure également le suivi du programme de simplification et de digitalisation du groupe. Par ailleurs, il s’est vu confier pour le compte du comité exécutif, une mission de suivi de l’activité santé « Orange Healthcare ».

 

 

Avant 2010, il a occupé différentes fonctions de direction :

  • à la Caisse Nationale des Caisses d’Épargne où il a lancé la réforme du secteur des ressources humaines, avant d’être chargé du développement commercial puis du plan stratégique
  • au sein du Groupe Banque Populaire où il a été successivement Directeur Général Adjoint à la Banque Fédérale des Banques Populaires puis promu Directeur Général Délégué
  • à La Poste, où il a été Directeur financier adjoint du groupe.

Il a également été en charge au début de sa carrière des restructurations industrielles au cabinet du ministre des finances.

Il est l’auteur de : « Entreprises : retrouver le temps pertinent », Edition Débats Publics.


C’est en 2010 qu’Orange a connu la crise sociale la plus grave de son histoire. Pour Stéphane Richard, PDG du Groupe Orange, « accompagner avec Bruno Mettling, les 100 000 collaborateurs français vers les voies de la réconciliation et de la performance » était une priorité mais aussi un enjeu de taille.

Alors qu’il était nécessaire de trouver des solutions rapidement, Stéphane Richard et Bruno Mettling ont décidé de rompre les codes traditionnels de gestion court-termiste pour comprendre la crise sociale et ses origines. L’exercice était d’autant plus complexe dans le contexte économique de France Telecom-Orange avec en parallèle l’arrivée d’un quatrième opérateur.

Remettre l’humain au cœur de la performance sans naïveté, sans langue de bois et surtout sans précipitation était une nécessité pour les deux dirigeants. A son arrivée en 2010, Bruno Mettling souhaite comprendre la crise et lance un certain nombre d’actions pour découvrir le Groupe et ses métiers. A l’issue de ces travaux, il en déduit que cette crise a trois dimensions : une crise du sens, une crise de l’organisation et une crise du modèle social.

La crise de sens : France Telecom a une longue histoire (avec les PTT) et une histoire courte (la naissance d’une entité indépendante). En 2010, les salariés manquent de repères et expriment un certaine démotivation qui se traduit par une perte de sens au travail.

==>  « Conquêtes 2015 » le projet stratégique de l’entreprise sera la réponse à cette crise de sens avec 4 axes prioritaires qui sont la conquête des femmes et des hommes de l’entreprise, la conquête des réseaux (fibre optique), la conquête des clients et la conquête de l’international.

La Crise de l’organisation : l’organisation « top down » et centralisée ne permet plus à chacun de s’exprimer. Cela a un impact lourd sur l’ensemble du management.

==>  La « reterritorialisation » avec la création de 11 directions opérationnelles de proximité sera la réponse à cette crise de l’organisation.

La Crise du modèle social: le contrat social et l’engagement « à vie » sont remis en cause par la transformation de l’entreprise dans un secteur de plus en plus concurrentiel. Ce qui se traduit aussi par une perte de confiance en interne.

==>  Le nouveau contrat social de l’entreprise sera fondamental dans la réponse à cette crise du modèle social.


Agnès Duroni – Aujourd’hui, quels sont les enjeux RH du Groupe Orange ?

Bruno Mettling – Il y a tous les enjeux RH classiques d’un grand groupe (Recrutement, GPEC, formation, marque employeur,…) auxquels j’ajouterai :

1/ Consolider l’apaisement social de l’entreprise :

Pour répondre à ce sujet important et délicat, il était nécessaire de prendre le temps d’écouter et de construire une organisation. Avec en autres la mise en place d’espaces d’écoute et d’accompagnement, la création d’une mission de soutien et médiation confiée à Jean-François Collin, le renforcement des moyens du réseau « Santé au travail », la création de 180 postes de RH de proximité, … Nous avons eu besoin de traiter le risque psycho-social en profondeur en décortiquant le sujet : modèles d’organisation, promesse employeur, contrat social, gestion de l’emploi, systèmes de contribution, fonction RH.

Aujourd’hui l’entreprise a retrouvé un apaisement social : dans notre dernier baromètre interne, 92% des collaborateurs pensent que la qualité de vie au travail est meilleure ou comparable à celles des entreprises françaises.

Mais comme beaucoup d’entreprises, nous devons rester à l’écoute de nos collaborateurs. Une étude récente a révélé qu’en France 72% des collaborateurs, y compris les cadres supérieurs, estiment que leurs intérêts à terme sont divergents de ceux de leurs dirigeants.

2/ S’adapter au choc économique (le groupe a vu son EBITDA baisser de 1 milliard d’euros en 2013) en conciliant performance économique et qualité sociale

Nous avons en particulier travaillé deux axes :

  • Le système de contribution/ rétribution : Par exemple, nous avons augmenté le pouvoir d’achat des premiers niveaux de salaire et nous avons gelé les 200 plus hautes rémunérations pendant 2 ans. Nous avons également introduit un critère de performance sociale dans la rémunération des 750 premiers dirigeants.
  • La politique de l’emploi : Nous avons fait le choix de ne pas faire de plan social mais de nous appuyer sur notre démographie naturelle (20 000 départs progressifs à la retraite d’ici 2020). Entre 2013 et 2015, nous recruterons 5 000 CDI. Par ailleurs, nous avons mis en œuvre de nouveaux processus plus souples : GPEC décentralisée, recrutement décidé en local,…

3/ La digitalisation de l’entreprise

Nous sommes une entreprise digitale et c’est un atout par rapport au choc culturel que nous vivons tous. La relation du salarié digital aux clients digitaux est ainsi facilitée. Pour nous, il était important de savoir anticiper cette évolution. C’est pourquoi nous avons souhaité embarquer l’ensemble des collaborateurs sans fracture et sans urgence. Nous avons mis en place la « Digital Academy » qui offre un corpus commun et un passeport digital à l’issue de la formation. Aujourd’hui 58 000 passeports ont été délivrés. C’est un succès et cela confirme l’appétence de nos collaborateurs pour ce sujet.

En quoi la révolution digitale est-elle bénéfique pour l’entreprise ? Comment vivez-vous la révolution digitale au sein d’Orange ?

Cette révolution a souvent été assimilée à un effet secondaire d’Internet. Mais aujourd’hui il est impensable de customiser une offre digitale sans réinventer intégralement le modèle de l’entreprise et sa chaîne interne de fonctionnement. La digitalisation couvre 3 axes : la relation client, la demande interne dont je suis responsable et la promesse de la digitalisation aux entreprises (Orange Business Services).

En 2015, 40% des actifs français seront issus de la génération Y et auront donc grandi avec les nouvelles technologies. Ils ne pourraient pas comprendre que l’entreprise ne leur offre pas les outils et l’environnement adéquat (réalité virtuelle, réseaux sociaux, travail collaboratif, …). Pour cela, il est nécessaire d’entrer dans ce processus de transformation profond et complet qu’est la digitalisation de nos entreprises et pour ce faire, il est essentiel d’embarquer tous les salariés dans cette transformation. C’est notre obsession chez Orange, nous ne voulons pas d’une nouvelle fracture : la digitalisation est un sujet vécu positivement dans l’entreprise et cette dynamique doit perdurer.

Si l’entreprise prend le virage de la digitalisation en interne, elle dégagera des gains de productivité et les employés gagneront en liberté et en autonomie grâce à la fluidité des outils.

Je vais prendre l’exemple du fractionnement d’absence pour un enfant malade qui fonctionnait jusque-là par demi-journée. Grâce au digital, nous avons autorisé le fractionnement en heures, ce qui est beaucoup plus confortable pour le collaborateur comme pour l’entreprise.

Le digital va contribuer à l’éclatement de l’unité de temps et de lieu de travail et donner naissance à des nouveaux usages dans l’entreprise : certains collaborateurs deviennent nomades et travaillent dans des espaces de « co-working » ou en « free-seating » c’est-à-dire sans bureau fixe quand ils sont dans l’entreprise. Le télétravail se développe et permet d’offrir des sphères d’autonomie au collaborateur et des gains de productivité à l’entreprise.

C’est pourquoi il faut revoir les modèles de management, repenser le temps et l’espace de travail ainsi que la présence dans l’entreprise.

Dans votre livre « Entreprises : retrouver le temps pertinent », vous encouragez les stratégies à long terme. Pouvez-vous nous expliquer ce « temps pertinent » et le regard que vous portez sur ce « temps long » compte-tenu de l’accélération que vous vivez par ailleurs avec vos clients ?

Nous sommes  de plus en plus contraints au sein de nos entreprises à ce que j’appelle « la dictature du court  terme » qui a de nombreux effets ravageurs. Des objectifs centrés uniquement sur la recherche de la  profitabilité à court terme entraînent en effet la multiplication des réorganisations, le culte du reporting et du contrôle, des changements fréquents des équipes dirigeantes,…Tout ceci explique le déséquilibre croissant entre les directions pour lesquelles le court terme est important (directions financières, communication, marketing…) et celles qui ont une orientation  long terme (ressources humaines, stratégie, qualité…).

Ces maux engendrent  une cassure interne de plus en plus grande qui se traduit par une perte de confiance entre les salariés  (y compris les cadres supérieurs) et leurs dirigeants … Retrouver le temps pertinent pour les dirigeants, c’est précisément prendre conscience de cette situation et rétablir la confiance entre les acteurs. Cela nécessite le  retour d’espaces de partage, d’écoute et de dialogue pour que chacun ait  une compréhension commune des enjeux de l’entreprise. Et enfin j’ajouterai que l’anticipation à tous les niveaux de l’entreprise est le seul moyen de faire partager la stratégie en interne et de recréer les conditions de la confiance. L’anticipation et la coopération sont fondamentales pour conduire les transformations.

Quant à la relation client, elle se décompose chez Orange entre les boutiques, les déplacements des techniciens, l’espace WEB et les centres d’appels. Les clients ont aujourd’hui une grande exigence de fluidité et souhaitent passer d’un canal à l’autre très facilement. Dans cet esprit, le lancement de Sosh, notre marque Web a été un succès immédiat et je voudrais souligner ici la capacité et le fort engagement du corps social qui s’est mobilisé pour répondre à l’offensive « low cost ». Je suis convaincu qu’une relation de qualité entre les dirigeants et son corps social entraîne une meilleure performance économique et sociale.

L’exemple de l’entreprise digitale confirme qu’il ne s’agit pas d’opposer temps court et temps long. Il convient de trouver un équilibre : le temps pertinent… c’est à dire celui qui concilie la vision, la stratégie et le sens qui s’inscrivent dans la durée tout en maintenant l’ambition d’être réactif au quotidien. A chaque entreprise de trouver ce temps pertinent…

 Le temps pertinent

3 commentaires

  1. mattio claude Répondre

    Dans cet article, Bruno Mettling parle de la dictature du court terme qui baisse le niveau de confiance entre les salariés et qu’il est temps de le rétablir. Je ne suis pas certain que la confiance était plus forte dans les années passées. Je crois plutôt que les dirigeants ont pris conscience que leurs modèles de management arrivent à bout de souffle et que 40 % de collaborateurs désengagés dans les entreprises françaises posent un sérieux problème. Impossible de conduire une entreprise dans la complexité des marchés si les salariés ne sont pas enthousiastes et dynamiques dans les projets au quotidien.

  2. Ping : Entretien avec Bruno Mettling – DGA du gr...

  3. Marc PIOLOT Répondre

    Bonsoir,

    Bonsoir à tous,

    Ce rapport au temps et à la confiance me parait subtil, pertinent et porteur de progrès.
    Il y a des temps courts ET des temps longs.

    La confiance est un temps long qui ne se vérifie que dans la durée : « faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait »…

    L’urgence de réactivité est un impondérable qui nous a tous bousculé. Par exemple, lorsque nous étions sollicités par nos enfants en layette 🙂 !

    Alors, il faut vivre ces deux temps.
    Probablement, Claude subit l’impératif du temps court, comme beaucoup aujourd’hui.
    Et souhaiterait qu’une place plus importante soit réservée au temps long, à la compréhension du sens, au respect du rythme de chacun pour s’y engager avec vigueur et énergie.

    Marc PIOLOT

Répondre à mattio claude Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *