Interview d’Olivier Lajous, un DRH pas comme les autres…

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Avec ses 40 000 militaires, ses 3 000 recrutements par an, ses 23 jours de formations par an et par marin, la marine nationale et son esprit d’équipage n’ont pas fini de nous étonner. Rencontre passionnante et émouvante avec un DRH hors du commun, l’Amiral Olivier Lajous, Directeur du Personnel de la marine nationale de 2009 à 2012, élu DRH de l’année 2012. Grâce à  sa très belle métaphore du surfeur, il nous décrit sa vision des  ressources humaines mais aussi de l’humanité.

Lajous

Marin de l’Etat depuis trente-six ans, j’ai parcouru en mer l’équivalent de plus de vingt tours du monde, suis arrivé du large dans plus de soixante ports du monde, ai navigué sur les trois océans – atlantique, indien et pacifique – , franchi les trois caps – Bonne espérance, Horn et Leeuwin – et plus de vingt détroits – Bab el mandeb, Bonifacio, du Bordelais, du Four, du Fromveur, Gibraltar, grand Belt et petit Belt, Kattegat, Magellan, Malacca, Messine, Mozambique, Ormuz, pas de Calais, Otrante, raz de Sein, Sicile, Skagerrak, Suez, Teignouse, Tiran, Zanzibar…Embarqué pendant près de dix-huit ans à bord de dix navires de toute taille, j’ai exercé trois commandements à la mer, le premier à 25 ans, le deuxième à trente-cinq ans et le troisième à quarante-cinq ans. Dans la pétole* comme dans le grand vent, chacune de mes navigations a été un intense moment de fusion avec mes deux rêves : la mer et l’humanité !

Extrait de ZERAQ – La mer sur le vif (Collectif, L’Elocoquent éditeur) : « A Papou » par Olivier Lajous

* Pétole : absence totale de vent

Agnès Duroni –  Bonjour Olivier,  vous avez gravi tous les échelons au sein de la marine nationale et exercé plusieurs métiers (Commandant, Officier général, Directeur de la communication,…), pouvez-vous nous parler de celui de DRH ?

Amiral Lajous – Tout d’abord, je n’aime pas le mot RH. Mon titre est Directeur du Personnel de la marine nationale et j’en suis très content! Le R de DRH pourrait être rareté ou richesse car chaque être humain est les deux ! Un bon DRH a fait beaucoup d’introspection car pour aimer les autres, il faut s’aimer soi-même et savoir qui on est. Ma devise est de respecter les autres au nom de la liberté, l’égalité et la fraternité. Chaque DRH doit développer le talent de chacun. Il doit recruter, employer et accompagner les départs dans les meilleures conditions. Il faut aussi savoir donner du temps au temps, être patient, faire du temps un allié. Le DRH doit fidéliser mais aussi apaiser les tourmentes c’est-à-dire tout faire pour que la vie professionnelle soit le plus transparente possible et ne soit pas une entrave à la vie personnelle. Par exemple, pour contrer les horaires atypiques et pour faciliter la vie familiale de nos marins, nous avons mis en place une ligne aérienne spéciale Brest/ Toulon. Un DRH doit également être cultivé, c’est-à-dire s’intéresser aux questions philosophiques de ce monde.  Et j’ajouterai que sans discipline on ne grandit pas. Comme le dit un Koan Zen bouddhique : « Recherchez la liberté et vous serez esclaves de vos désirs. Recherchez la discipline et vous trouverez la liberté ».

Après-toutes ces années d’expérience, comment définiriez-vous le management et le leadership?

Manager, c’est tout d’abord créer de la confiance dans une équipe pour arriver à un résultat. Ensuite, seulement, on peut commander. Management et commandement se conjuguent dans le temps. Le commandement est immédiat, le management se construit. L’ordre sera accepté s’il y a du sens, s’il y a des valeurs transmises. Sur un bateau, il y a une chaine de solidarité. On ne peut pas éliminer le maillon faible.

Le leadership, c’est être suivi avec plus ou moins d’envie dans le commandement. Pour moi, un leader est déterminé, disponible, patient, humble et discipliné. Le manager comme le leader doivent être disponibles. Si on prend l’exemple d’un surfeur, sa disponibilité lui permet de sentir ce qui va arriver (nécessaire pour surfer). Il doit connaitre ses forces et faiblesses. Il adopte alors une stratégie d’appréhender les opportunités et les menaces. C’est un stratège. Chaque fois qu’il ne prend pas le temps de prendre en compte tous les paramètres, il risque de tomber dans la vague, voire de subir une grande explosion. Il peut repartir mais il n’est pas toujours indemne et cela lui donne une autre image.

Quand vous partez en mer de long mois avec vos équipes, la proximité ne risque-t-elle pas de laisser une grande part à l’affectif au détriment du rôle hiérarchique ?

Il est indispensable d’avoir la capacité à être proche et distant à la fois. Lorsque la mission est terminée, il y a ensuite de longs jours sur le bateau pour rentrer. Toute la complexité est de ne jamais fermer la porte sans la laisser trop ouverte non plus.  Il est très important pour moi de connaitre le métier de ses équipes mais aussi de leur accorder une grande confiance. Les rencontres ne peuvent pas se faire si on n’accorde pas d’importance à l’autre.Il faut à la fois tenir le rôle grâce à l’exemplarité de son comportement et grâce à sa compétence (ils savent que vous savez). Faire ce que l’on dit, dire ce que l’on fait, être ce que l’on est. En résumé, être transparent et exemplaire. Un DRH ne doit pas parler uniquement de GPEC, de Hauts potentiels, ou d’autres programmes RH sans accorder une place importante au temps consacré aux équipes, sinon il risque comme le surfeur de perdre son équilibre.

On parle beaucoup aujourd’hui de diversité dans les entreprises. Qu’en pensez-vous ?

Je suis un militant de la diversité car il est normal d’être différent. Il faut savoir qui on est, exprimer ses idées sans être en conflit avec les idées des autres même si elles sont différentes. Les conflits d’idées qui entrainent l’affrontement ne font pas avancer. J’ai toujours pensé qu’il était préférable de construire avec l’énergie et la dynamique de l’autre. Quand bien même je ne suis pas d’accord avec votre idée, je la respecte. Bien sûr, il faut des règles, des repères et de la discipline car chaque fois qu’il y a atteinte à la dignité, c’est inacceptable. Je suis allé dans 70 pays qui avaient des cultures et des modes de pensées différents. J’ai fait des rencontres incroyables avec un certain nombre de tribus massai, indiennes, africaines…Les cultures étaient très différentes les unes des autres mais ce qui est important c’est le respect, l’amour pour l’autre, quel que soit son sexe, son âge et sa race. Il faut savoir profiter de cette diversité car il n’y a pas plus de normalité pour l’un que pour l’autre. Chaque être humain est l’égal de l’autre. Chacun est un être unique et il y a un trésor derrière chacun. Et c’est ce trésor qui va nous faire grandir.

Comment développez-vous les talents au sein de la marine nationale?

Nous recrutons 3 000 marins par an. On les accompagne 10/12 ans en moyenne :

  • De 20 à 30 ans, nous les recrutons et les faisons progresser dans des métiers techniques. Ils arrivent souvent avec un niveau BAC et repartent avec un niveau BTS ou master spécialisé. C’est une décennie de progression : compétences, salaire, expérience dans plusieurs pays, …
  • Les 30/40 ans sont des piliers. Ils ont un savoir, un savoir-faire, un savoir être et un faire-savoir. Mais c’est aussi une période où il faut souvent conjuguer parentalité, propriété, responsabilités professionnelles, divorce,… A 40 ans, on émet le souhait de travailler différemment. Nous devons aussi comprendre cela et nous adapter.

La VAE (Validation des Acquis par Expérience) est une démarche essentielle. Sur 3700 départs par an, 85% d’entre eux retrouvent un autre emploi grâce à la VAE. Nous avons créés des partenariats avec d’autres sociétés et d’autres « mondes » (EDF, RATP, SNCF, Suez, Total,Thales, DCNS,…) pour permettre à nos talents de poursuivre leur route. Nous avons une bonne gestion RH de proximité. Une fois par an, chaque marin a une évaluation avec son chef direct. Tous les 3 ans, il est reçu par son gestionnaire de carrières. Tous les 5 ans, les officiers rencontrent un cabinet extérieur. Au-delà des compétences, je crois à l’intelligence du cœur qui permet de détecter les talents.

Que pensez-vous des valeurs d’entreprise ?

Chaque entreprise a ses propres valeurs. Mais qu’il y a-t-il réellement derrière la marque de l’entreprise ? Les valeurs de la marine sont Honneur, Patrie, Valeur, Discipline. Les valeurs n’existent que par les gens qui se les approprient et les vivent. Le sentiment d’appartenance est capital. Comment redonner cette fierté à des gens qui travaillent ensemble ? Il faut savoir créer la rencontre. Il ne faut pas en faire un concept tourné vers le marketing, vers le business. Comme le dit la chanson, il faut donner l’envie d’avoir envie. Et amener chacun à être l’acteur de ses choix, de sa vie, de ses valeurs. Les miennes sont celle de la république : Liberté, Egalité et Fraternité. Il a fallu tant de courage pour les faire admettre comme essentielles à notre communauté et elles restent si fragiles !

Merci beaucoup  Olivier pour ce partage riche et inspirant. 

4 commentaires

  1. AR_HRCo Répondre

    Une interview qui regroupe des sujets très vastes en termes de gestion de RH. Je pense que cet article devrait être lu par tous les RH: certainement un exemple qui mérite d’être revu par les entreprises de production ou de services. J’apprécie l’esprit de discipline qui est normalement mis en exergue et j’aimerais que ce même état d’esprit puisse se retrouver dans les autres secteurs que la marine nationale ou l’armée. Oui, un exemple inspirant!

  2. jul Répondre

    une erreur se glisse dans cette entrevue:
    Les valeurs de la marine sont Honneur, Patrie, Discipline et Valeur…

  3. Charlie Répondre

    @jul
    @ Agnès Duroni

    En tant qu’ancien marin, je confirme ce qu’a dit l’Amiral Lajous, la devise de la Marine Nationale est bien « Honneur, Patrie, Valeur, Discipline ».

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