Entretien avec Pierre Gattaz – Président du MEDEF

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Pierre Gattaz est président du MEDEF, première organisation professionnelle de France et président du directoire de Radiall, une entreprise industrielle fabriquant des composants électroniques. Il lance en 2014 avec le MEDEF « Un million d’emplois, c’est possible » et fait de l’emploi son obsession quotidienne. Fervent défenseur du Rapport Combrexelle, il nous livre ici sa vision de l’entreprise de demain.

Très belle rencontre avec un patron passionné, bouillonnant d’idées et dont le discours engagé allie force et sensibilité.

 

Mr Pierre Gattaz, President du MEDEF, à Paris, le 28 Janvier 2015. Photo by © Christophe Guibbaud
© Christophe Guibbaud

Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications de Bretagne en 1983 et titulaire d’un « Certificate in Administrative Management » à Georges Washington University (USA), il est ingénieur d’affaires et chef de projet export chez Dassault Electronique de 1984 à 1989.

Il est ensuite directeur général de Fontaine Electronique et de Convergie (filiale du groupe Dynaction) de 1989 à 1992, puis prend la direction de Radiall en décembre 1992.

Président du GIXEL de 1999 à 2003, il est président fondateur de la FIEN (Filière des Industries Electroniques et Numériques) de 2002 à 2007 avant d’être élu président de la FIEEC (Fédération des Industries Electriques, Electroniques et de Communication – 30 syndicats industriels) en 2007, date à laquelle il intègre le Conseil exécutif du MEDEF.

De 2010 à 2013, il est président de GFI (Groupe des Fédérations Industrielles – 17 fédérations industrielles représentant 80% de l’industrie française), membre du bureau du CNI (Conseil National de l’Industrie), membre fondateur du think tank la Fabrique de l’Industrie et membre du bureau de l’UIMM (Union des Industries et Métiers de la métallurgie).

Il est élu Président du MEDEF le 3 juillet 2013.

Pierre Gattaz est Chevalier de la Légion d’honneur et Officier dans l’Ordre National du Mérite.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages (Editions Nouveau Monde) : « Le Printemps des magiciens » (2009), « Les 7 piliers de la croissance » (2013) et « Français, bougeons-nous ! » (2014).

Agnès Duroni – L’édition 2015 de l’université du MEDEF s’est déroulé sous le thème « Formidable jeunesse ». Pourquoi aviez-vous choisi ce thème ? Quels ont été les principaux messages ?

Pierre Gattaz – C’était en effet une mise à l’honneur des jeunes car ils sont un réservoir de talents et d’énergie extraordinaires. Ils sont l’avenir de la France dans un monde qui bouge. Nous avons voulu mettre en avant 3 signes distinctifs :

  • Cette jeunesse est innovante et créative. Cela se vérifie avec le nombre de start-ups créées dans internet qui est plus important que chez nos voisins.
  • Elle est la diversité. C’est une force pour la France face aux défis de la mondialisation. Ces jeunes issus de la diversité sont en effet de véritables ambassadeurs et acteurs de la mondialisation.
  • Et enfin, elle a la fibre entrepreneuriale : 50 % d’entre eux veulent en effet devenir des entrepreneurs.

Ces 3 atouts, ont été mis en avant pour parler des grandes mutations du monde que nous devons gérer et que les jeunes vont devoir mettre en œuvre dans les 30 prochaines années pour créer ce que j’appelle « les 30 audacieuses ».

Nous sommes confrontés au numérique, à la transition énergétique, aux sciences de la vie (qui sont d’ailleurs des filières d’excellence française) et à la mondialisation de l’économie. Durant les 30 glorieuses, il y avait seulement 5 ou 6 pays en concurrence. Il y en a aujourd’hui 15, mais ce sont autant de marchés à prendre.

Il faut aussi prendre en compte la révolution démographique et sociétale: on vit de plus en plus vieux, les modes de vie changent (Génération Y, Génération Z), les familles se décomposent, se recomposent, les citoyens ont des usages différents et un rapport au travail qui évolue…

Bref, tous ces défis constituent autant d’opportunités à saisir pour notre jeunesse et nos entreprises que je résume souvent par deux grandes idées qui doivent nous guider :

  • Le monde est à équiper et il attend la France. Que ce soit en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud, les marchés tendent la main à nos savoirs faire, à notre créativité, à nos technologies, la « French Touch » et le « French Design ». Je le vois au cours de tous mes voyages.
  • Le futur est à inventer avec nos jeunes et nos entrepreneurs. Nous devons privilégier l’innovation, tester, essayer, se tromper, rebondir, repartir… chercher et trouver encore et encore. Et nous avons des atouts formidables pour cela : notre créativité, notre diversité que le monde nous envie…

Les grands messages de ces universités du MEDEF ont été avant tout des messages d’espoir et d’enthousiasme, sans oublier néanmoins de pointer du doigt le terrorisme dont a parlé avec beaucoup de courage et de panache, la Reine Rania de Jordanie. L’emploi, l’éducation, la formation seront les meilleurs remparts pour lutter contre cela.

Est-ce aussi une opportunité pour embarquer plus de jeunes et changer ainsi l’image du MEDEF ? 

Oui, nous voulons aussi changer l’image du MEDEF. J’en profite pour faire une parenthèse et dire que nous sommes parfois associés uniquement au CAC40. Je tiens à souligner que le MEDEF réunit 750 000 TPE/PME/ETI dont l’effectif est moyen est de 20 personnes !

J’ai nommé Thibault Lanxade vice-président du pôle en charge des PME et de l’entrepreneuriat, deux axes qui seront prioritaires dans les 12 prochains mois. En tant que MEDEF, nous voulons apporter des outils pour accompagner les jeunes dans l’entreprenariat de façon concrète.

Nous avons commencé à le faire avec AGPR (Agir pour la réussite) une association de jeunes de la diversité créée par Moussa Camara. Il s’agit, globalement d’encourager l’ouverture culturelle et sociale des jeunes, de créer du lien social, de les accompagner vers l’insertion professionnelle. Nous avons ainsi formé 15 jeunes sélectionnés par AGPR à l’entrepreunariat. Ces jeunes ont la rage de la liberté et de gagner ! C’est réconfortant de voir cela. Nous ne voulons pas en rester à une promotion et nous allons déployer cette initiative sur le territoire national.

Le MEDEF est également membre fondateur depuis 1990 du Comité Français des Olympiades des Métiers (COFOM), WorldSkills France. En 2015, l’équipe de France des Métiers a participé à la 43e WorldSkills Competition à São Paulo et a remporté 9 médailles. Cette initiative met en valeur l’excellence de la formation professionnelle et l’aventure collective de cette compétition confirme que l’apprentissage est une voie d’excellence à développer.

Comment trouvez-vous le moral des entrepreneurs ? Quels messages clés avez-vous envie de transmettre au gouvernement, aux jeunes et aux entrepreneurs ?

Le moral s’améliore légèrement. Il y a une légère croissance, certes encore un peu chaotique mais elle s’est dessinée.

Le combat du MEDEF est un combat de vérité et de réalité de terrain. Je vois toutes les semaines entre 100 et 1000 entrepreneurs. Ce qu’ils me disent, c’est qu’il y a 3 fléaux : le droit social (la peur d’embaucher car trop cher et trop compliqué), la fiscalité et la complexité.

Mon message au gouvernement est d’accélérer fondamentalement les réformes pour améliorer le terreau de compétitivité de la France et l’environnement de confiance qui sont les 2 facteurs clés de succès du pays. C’est mon cri du cœur.

Aux jeunes, je dis « osez, foncez, créez vos entreprises, soyez optimistes et contribuez aux 30 audacieuses » et aux entrepreneurs « relevons les défis ensemble avec le pacte de responsabilité ; innovez, exportez, formez les jeunes en apprentissage ».

Foncer, oser, réinventer l’entreprise : vos mots font rêver… Pourtant la France avec 5,5 millions de chômeurs est une France inquiète et fragile. Quels sont, selon vous, les freins (politique française, réglementation…) qu’il faut lever ? Quel avenir pouvons-nous imaginer ? Quels sont les leviers ?

Créer de l’emploi, c’est le combat du MEDEF et c’est mon obsession. C’est le problème N°1 du pays qui induit la perte de l’espoir et creuse les déficits économiques. C’est dans ce contexte qu’est né au MEDEF le projet : « Un million d’emplois, c’est possible ».

Notre ambition en France est de créer 1 million d’emplois en 5 ans soit 200 000 emplois par an. C’est possible ! L’Angleterre a créé 2 millions d’emplois en 5 ans et va en créer 1 million supplémentaire. L’Allemagne a créé 1,5 million d’emplois en 5 ans.

Ce doit être la priorité de tous les ministres, des sénateurs, des partenaires sociaux… Mais il faut lever cette peur de l’embauche des patrons et réformer le code du travail qui est trop rigide, contreproductif et anxiogène.

Il y a par ailleurs 300 000 emplois non pourvus en France avec une forte méconnaissance de de certains secteurs. Nous avons lancé au MEDEF la campagne « Beau travail » qui met en lumière 115 métiers qui embauchent mais qui peinent à trouver des candidats. Cette initiative doit permettre de valoriser l’offre de formation et les compétences requises pour ces postes.

Nous devons retrouver les chemins de l’emploi et de la croissance. Cela passe nécessairement par les entreprises. Le pacte de responsabilité qui représente une baisse de 40 milliards d’impôts a été mis en place il y un an et va durer jusqu’à 2017. Ce n’est qu’un tiers du chemin face aux principaux pays européens comme l’Allemagne par exemple. Nous devons jouons le jeu. Nous sommes motivés. Cela permettra de dégager des marges pour que les entreprises investissent, innovent et embauchent.

 

Medef Un million d'empois

 

Que pensez-vous de la contradiction entre « ouvrir/simplifier le code du travail » qui peut être interprété comme un avantage pour l’entreprise mais aussi une « précarisation » de l’employé ?

Ce n’est pas en complexifiant à outrance que l’on va renforcer les droits de nos salariés et ce n’est pas en simplifiant qu’on va enlever des droits. Plus c’est complexe, moins on comprend et c’est bien le constat réalisé depuis quelques mois par les économistes de droite et de gauche. Il y a un consensus national pour réformer le code du travail qui comporte aujourd’hui 3500 pages.

Il pourrait idéalement comporter une cinquantaine de grands principes. Il est aujourd’hui trop compliqué et improductif. Il fait peur car il est incompréhensible par les salariés et les entrepreneurs.

Ce que nous préconisons, c’est l’accord d’entreprise prioritaire. Une entreprise, c’est une entité unique, des hommes et des femmes uniques pour un projet unique. C’est pourquoi les patrons doivent renforcer le dialogue social de terrain avec leurs équipes pour que chacun s’approprie le projet d’entreprise. Nous sommes favorables à des accords au cas par cas et non pas au niveau national. Cela signifie qu’un chef d’entreprise pourrait négocier directement avec ses salariés la durée du travail, l’organisation du travail sans en référer aux branches ou au code du travail qui est devenu beaucoup trop lourd. Si un chef d’entreprise a besoin de travailler 39 heures parce qu’il est dans un environnement concurrentiel, il pourra directement statuer avec ses salariés.

Nous demandons plus d’agilité, plus de souplesse pour faire face à un monde ouvert, en pleine mutation. Il faut que chaque entreprise puisse négocier des adaptations avec ses salariés.

Par ailleurs, avec « l’ubérisation » de l’économie, les jeunes auront surement 5 ou 6 employeurs et 5, 10 ou 15 métiers différents. Le CDI tel qu’il est fait est très inquiétant et très anxiogène. Nous préconisons un CDI sécurisé qui intégrerait des clauses de séparation (comme dans un contrat de mariage) afin que le salarié comme l’entrepreneur connaisse les conditions de départ. Aujourd’hui, les entrepreneurs, en particulier les plus petits, n’osent plus embaucher car ils ne savent pas ce qu’il va se passer en cas de séparation.

Il faut diminuer cette double peur : la peur du salarié qui craint de se faire licencier et la peur d’embaucher du patron. La peur du salarié sera réduite par la formation permanente et donc par une meilleure employabilité.

Vous dites souvent que les entrepreneurs sont des héros des temps modernes et de la nation. Quelles sont, selon vous, les qualités que doit avoir un chef d’entreprise ?

C’est tout d’abord quelqu’un qui a de l’audace, celle d’avoir créé ou repris une entreprise, celle d’avoir trouvé l’idée et de l’avoir traduite en un projet d’entreprise. C’est celui qui a le courage de se jeter à l’eau (d’hypothéquer sa maison, de s’endetter…), qui a du mérite, de la ténacité, qui surmonte et règle des problèmes divers tous les jours et dans le temps.

Ensuite, j’ajouterai un point important qui est l’exemplarité du chef. Je crois beaucoup à la règle des 5V que j’ai mise en place chez Radiall. J’applique cette méthode depuis 20 ans, je l’ai formalisée depuis quelques années.

  • Le 1er V est la vision qu’il faut définir. Le point d’arrivée. Notre cible collective.
  • Le 2e V est celui du point de départ. C’est le V de la vérité, de la réalité, des problèmes à résoudre.
  • Le 3e V, ce sont les valeurs partagées, nos convictions profondes, nos règles collectives, assumées et partagées, pour aller du point de départ au point d’arrivée.
  • Le 4e V est la volonté et le courage de décider et surtout d’agir, d’engager les réformes nécessaires.
  • Le 5e V enfin, c’est la victoire finale partagée. Celle de l’objectif atteint.
    De la fierté retrouvée. C’est une nouvelle base pour un nouveau départ.

Le chef d’entreprise est ainsi celui qui innove, embauche, prend des risques, crée de la richesse, intègre, forme. Il permet à notre modèle social de se développer et de résorber les déficits. Dans un contexte de mondialisation, il est aussi celui qui réussit à exporter son business à l’étranger.

C’est un leader, il a une vision. Il est courageux et il sait décider. Il a confiance dans l’autre. Il a une certaine générosité, je dirais même qu’il va jusqu’à aimer. Oui, il doit être bienveillant, aimer les autres…

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2 commentaires

  1. Ping : Entretien avec Pierre Gattaz – Pré...

  2. Convention.fr Répondre

    Le MEDEF, premier groupement professionnel, a pour but d’écouter les employeurs et de leur permettre d’embaucher et de créer de l’emploi en France, parfois au détriment des droits des salariés.

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